Par Fanny Robichaud, doctorante en psychologie
Selon Hinz (2009), l’art-thérapie consiste en l’accompagnement de personnes par le biais de la production d’œuvres artistiques, cet accompagnement est associé à un processus de transformation. Contrairement aux approches classiques, lorsque l’on utilise l’art-thérapie le symptôme n’est pas abordé directement, l’image fait alors œuvre de véhicule, de métaphore. La personne retrouve ainsi un certain contrôle, peut y aller à son rythme, maintenir une certaine ambigüité, si elle le souhaite. Cette disposition semble apporter un espace d’interaction entre le client et le thérapeute plus respectueux du rythme, des besoins de la personne et même rétablir un certain équilibre de pouvoir, la personne pouvant dissimuler ou communiquer certains éléments selon son degré de confort ou encore aborder indirectement des aspects plus difficiles. Ceci contribuerait à renforcer l’alliance thérapeutique, éléments indispensable à la thérapie (Hinz, 2009).
Certains auteurs soulignent comment l’art-thérapie, par la nature de l’intervention, peut être particulièrement adaptée au traitement du trauma. Pour Pifalo (2007), l’art-thérapie par sa composante visuelle permettrait d’accéder, de traiter et d’intégrer les éléments fragmentés de l’expérience traumatique. Selon Ramirez (2016), l’art-thérapie permettrait de contourner certains défis rencontrés en thérapie cognitive, soit l’accès limité à l’expérience émotionnelle par la voie verbale, de même que l’évitement, en permettant aux personnes de s’exprimer par un autre mode que le mode verbal. Cette approche favoriserait l’expression et l’accès à différents aspects de soi (pensées et émotions) et renforcerait le sentiment de sécurité des participants (Smyth & Nobel, 2015).
Par ailleurs, ce cadre flexible semblent favoriser les conditions soulignées par Foa et al., (2009) soit l’engagement en établissant une «base» permettant au client de se sentir suffisamment soutenu et «fort» pour s’exposer à la mémoire du trauma. Enfin, selon l’AATA (n.d.), l’art-thérapie permettrait de diminuer l’anxiété et les troubles de l’humeur, conditions fréquemment associées au trauma, diminuerait les comportements qui interfèrent avec le fonctionnement cognitif et émotionnel, permettrait d’exprimer les éléments de la mémoire associés au trauma et de réactiver l’estime de soi. Nous en retenons que par la nature de son approche, l’art-thérapie, permettrait d’aborder la problématique du trauma autrement que par la voie verbale, en plus d’avoir un effet sur les conditions associées et de renforcer l’alliance thérapeutique.
Nous aborderons maintenant les impacts potentiels de l’art-thérapie sur : l’évitement ; la composante émotionnelle, l’identité et la conception du monde. L’évitement serait lié aux taux de décrochage et à la non recherche d’aide (Yehuda et al., 2014). Il s’agit d’un obstacle majeur face à l’engagement envers le traitement. À ce niveau, l’art amènerait expérience traumatique à l’extérieur du corps, processus qui permet de créer une distance avec l’événement, soit à l’individu de se dissocier de celle-ci et de pouvoir adopter une position d’observateur (M. Riccardi, communication personnelle, mars 2017). Par ailleurs, le besoin de reprendre un certain contrôle s’exprime à travers l’évitement. L’individu tentant de reprendre le contrôle de ce qui peut avoir un effet sur lui. L’art offrirait, à ce sujet, la possibilité au participant de faire des choix, d’illustrer certains éléments, d’en occulter d’autres, ce qui permet de respecter le rythme du participant, d’entreprendre un travail progressif ce qui en vient à exposer graduellement le participant au répertoire sensoriel, le tout dans un contexte perçu comme sécuritaire et contenant.
Le second type d’effet concerne l’impact sur la composante émotionnelle. Pour plusieurs personnes ayant été exposé à un trauma, l’impact sur celle-ci se caractérise par une inhabilité à ressentir les émotions, positives et négatives mais également par un blocage d’accès à celles-ci en raison de l’effet de l’hypervigilance occasionnée par le traumatisme (Donnelly, 2013). Selon Kashdan, Elhai et Frueh (2006), l’introduction à des activités plaisantes et à des sensations dans le cadre de l’art-thérapie le tout dans un cadre sécuritaire créerait des conditions permettant d’expérimenter des émotions agréables. Par ailleurs, le recours au symbole et à la métaphore faciliterait l’accès à la composante émotionnelle davantage que par le mode verbal. L’impact du processus créatif, le recours à différents médiums, et le contexte permettraient de réguler le trauma, de le contenir à travers l’objet crée, le rendant moins menaçant, et facilitant l’accès à la composante émotive (McElveen, 2007). D’une certaine façon, l’art-thérapie semble se présenter à ce niveau comme un outil de rééducation émotionnel permettant de s’exposer à des sensations qui pourront être associées à des émotions, le tout dans un contexte sécuritaire et éventuellement d’expérimenter certaines émotions plus désagréables, de nouveau dans un contexte qui facilite leur régulation.
Au niveau de l’identité, il fut évoqué que le trauma, bouscule la conception du monde et les valeurs intégrées. Une fois le trauma exprimé à travers l’art, une restructuration narrative devient possible et permet un processus de transformation. Le fait que le participant puisse cheminer à son rythme, qu’il regagne un certain contrôle, favoriserait également un sentiment de confiance en soi ce qui agirait sur l’identité de façon positive (Donnelly, 2013; McElveen, 2007 ; Talwar 2007). Enfin, le fait de partager ses réalisations, que cela soit avec le thérapeute ou un groupe, permettrait de contrer le sentiment d’aliénation, de renforcer le sentiment d’appartenance, de favoriser les contacts sociaux en plus de revoir certaines pensées en lien avec une perception du monde comme étant hostile ou menaçant (McElveen, 2007).
En terminant, l’art-thérapie, par la nature des interventions, le recours à différents médiums, la possibilité d’accéder de façon indirecte au vécu émotionnel du client tout en respectant son rythme, laisse entrevoir la possibilité de contourner certaines difficultés rencontrées notamment dans les traitements d’exposition. Par ailleurs, il semblerait que l’art-thérapie puisse s’adapter et répondre aux priorités ciblées par le traitement du trauma soit contrer l’évitement ; développer une tolérance aux émotions ; d’augmenter les habiletés sociales et adresser les conditions associées au trauma. Ceci laisse présager des impacts intéressants tant au niveau des symptômes liés au trauma qu’aux impacts de celui-ci sur le fonctionnement général et la qualité de vie de la personne. Considérant la complexité du tableau clinique lié au trauma mais également la réticence de certains clients à s’engager dans un processus thérapeutique impliquant l’exposition, l’art-thérapie semble offrir une avenue intéressante et tout à fait justifiable d’un point de vue clinique.
Références.
American Art Therapy Association (AATA). (n.d.) Art Therapy, posttraumatic Stress Disorder, and Veterans. Alexandria : AATA.
Donnelly, L. C. (2013). Art therapy for Combat Related PTSD : A litterature review. Mémoire de maîtrise inédit. Adler Graduate School, Richfield, MN, États-Unis.
Foa, E. B., Keane, T. M., Friedman, M. J., & Cohen, J. A. (2009). Effective treatments for PTSD: Practice guidelines from the International Society for Traumatic Stress Studies. New York: The Guilford Press.
Hinz, L. (2009). L’art-thérapie. Paris: Presses Universitaires de France.
Kashdan, T.B., Breen, W.E., & Julian, T. (2010). Everyday Strivings in War Veterans With Posttraumatic Stress Disorder: Suffering From a Hyper-Focus on Avoidance and Emotion Regulation. Behavior Therapy, 41, 350-363.
McElveen, R. (2007). Using Art as Therapy. Vanguard, LIII(5), 18-21.
Pifalo, T. (2007). Jogging the cogs : Trauma-focused art therapy and CBT with sexually abused children. Art therapy : Journal of the American Art Therapy Association, 24(4), 170-175.
Ramirez, J. (2016). A Review of Art Therapy Among Military Service members and veterans with Post-Traumatic Stress Disorder. Journal of Military and Veteran’s Health, 24(2), 40-51.
Talwar, S. (2007). Accessing tramatic memory through art making : An art therapy trauma protocol (ATTP). The Arts in Psychotherapy, 34, 22-35.
Smyth, J., & Nobel, J. (2015). Creative, Artistic and expressive Therapies for PTSD. Arts & healing. Repéré à http://www.marketingnavigators.com/FAH2/wp-content/uploads/2015/12/PTSD-White_Paper_Smyth_Nobel.pdf
Yehuda, R., Vermetten, E., McFarlane, A. C., & Lehrner, A. (2014). PTSD in the military : special considerations for understanding prevalence, pathophysiology and treatment following deployment. Enropean Journal of Psychotraumatology, 5, 10.3402/ejpt.v5.25322. http://doi.org/10.3402/ejpt.v5.25322