
Par Emmanuelle Arcand, psychoéducatrice et psychothérapeute
Vivre l’expérience de la dépression peut être très difficile et confrontant. Dans cet article, nous essaierons donc de mieux comprendre une des principales stratégies utilisées dans les cas de dépression majeure: l’activation comportementale. Une stratégie qui a d’ailleurs clairement fait ses preuves sur le plan scientifique.
La dépression majeure est un trouble psychopathologique fréquent dans la population. Au Canada, environ 1 % des hommes et 2 % des femmes seraient cliniquement dépressifs en tout temps. Et environ, 11 % des hommes et 16 % des femmes vivront une dépression majeure à une étape de leur vie (Public Health Agency, 2006).
La dépression majeure est une maladie mentale qui se caractérise par une perte de plaisir et une humeur triste soutenue pendant plusieurs semaines (Addis et Martell, 2009). La personne souffrira aussi de problèmes de sommeil, de changement au niveau de son appétit, de perte de concentration, d’énergie, d’intérêt ou de motivation.
Nous parlons de maladie quand la «déprime», suivant l’expression populaire, prend le dessus sur nos humeurs habituelles et nous empêche de mener une vie équilibrée. Lorsqu’une personne vit un épisode de dépression, cela a un impact significatif sur son fonctionnement habituel. Les activités quotidiennes deviennent généralement plus difficiles à exécuter, et provoquent une diminution significative des activités considérées comme plaisantes et gratifiantes.
Des facteurs génétiques et des antécédents familiaux peuvent amener une personne à être plus vulnérable de développer une dépression. Sur le plan biologique, le déséquilibre de certains neurotransmetteurs tels que la sérotonine dans le cerveau, peut provoquer le développement de la maladie (Addis et Martell, 2009). Plusieurs facteurs de risques peuvent expliquer la survenue de ce trouble de l’humeur. Un stresseur épisodique important, un stress chronique, un burnout ou un traumatisme peuvent déclencher un épisode par exemple.
La dépression se traite généralement par la psychothérapie et/ou un traitement médicamenteux. Ces traitements sont très efficaces pour diminuer substantiellement les symptômes dépressifs (Cottraux, 1990).
La stratégie de l’activation comportementale provient du modèle de thérapie cognitivo-comportemental. Beaucoup d’études valident l’efficacité de cette approche pour le traitement de la dépression majeure (Cottraux, 1990). La TCC classique utilise principalement les méthodes de restructuration cognitive et d’activation comportementale pour traiter une personne ayant une dépression. Selon ce modèle, nos pensées, nos émotions, nos comportements et les réactions de notre corps sont intimement reliés et s’influencent les uns les autres.
Donnons un exemple pour illustrer ce qui se passe pour un individu lors d’un épisode de dépression. Jacques est déprimé. Il est resté au lit jusqu’à trois heures de l’après-midi, même si cela fait déjà quatre heures qu’il est réveillé. Il pense à sa dernière rupture amoureuse. Il croit qu’il est moins attrayant. Il se dit qu’il n’a pas été un bon conjoint et qu’aucune femme ne voudra de lui dans le futur. Ces pensées le rendent de plus en plus triste et il se sent coupable. Il se sent abattu et affaibli. Il a de moins en moins envie de se lever. Son comportement consistant à rester au lit augmente ses pensées négatives, sa fatigue, sa tristesse et sa culpabilité. Son corps fatigué augmente la probabilité qu’il reste au lit, qu’il ait des pensées négatives et qu’il se sente coupable. Et ainsi de suite.
L’apathie est un symptôme central de la dépression (Fontaine et Apfeldorfer, 1984). Être apathique, c’est être moins actif. Ce symptôme est intimement relié à la perte d’intérêt. Plus la dépression s’accentue, moins la personne qui en souffre aura envie de s’adonner à ses activités habituelles. Ce manque d’intérêt poussera la personne dépressive à diminuer ses activités plaisantes, ce qui augmentera les symptômes dépressifs. C’est souvent contre-productif, car en agissant de cette façon, la personne renforcera son sentiment de désespoir. Les activités plaisantes sont souvent des occasions de faire des choses dans lesquelles les gens se sentent efficaces et compétents. En arrêtant de pratiquer ces activités, cela provoque également un impact sur leur estime personnelle. Ils peuvent se dévaloriser à outrance, et devenir incapables de percevoir leurs qualités et leurs forces.
De plus, on peut avoir tendance à penser que lorsqu’on a moins d’énergie, on doit faire le moins d’activités possibles pour reprendre des forces. On peut s’imaginer qu’en passant plusieurs journées en regardant la télévision ou en restant dans notre lit par exemple, qu’on va récupérer et se sentir mieux. Or, c’est une fausse croyance. Lorsqu’un individu vit un épisode dépressif, il se passe le contraire. Plus il demeure inactif, plus il se sent déprimé. Afin de briser ce cycle nocif, l’exécution d’activités importantes et plaisantes est primordiale. Cela amène à augmenter le niveau d’énergie, à avoir plus confiance en soi et à diminuer les sentiments de tristesse et d’anxiété.
Le modèle d’activation comportementale en ce qui concerne le traitement de la dépression suggère que la personne augmente les activités plaisantes et diminue les comportements moins sains tels que l’alcool, le manque d’exercice, le temps d’écran excessif, l’isolement et les heures trop nombreuses passées au lit. Ces comportements ont pour fonction d’éviter les émotions négatives. Cependant, ils peuvent amener un soulagement temporaire sur le coup mais ultimement, cela résultera en une aggravation de la dépression à long terme. Cela augmente le sentiment d’impuissance et amène des pensées de ce type : ça ne sert à rien de faire cette activité si je n’ai pas l’énergie, je ne réussirai jamais à ce que ça change, ça va rester pareil, peu importe ce que je fais, rien ne va changer. En thérapie, on amènera donc le client à augmenter les activités importantes et plaisantes et à diminuer les activités plus nocives.
L’activation comportementale permettra donc au client d’améliorer son humeur, d’avoir une vie plus active, avoir une vie pleine de sens, une vie plus joyeuse et épanouissante et mieux fonctionner au quotidien (Fontaine et Apfeldorfer, 1984). Nous mettons également l’accent en activation comportementale sur les valeurs. Cela permet au client de faire des choix et activités qui ont du sens pour lui. Le fait d’identifier ses valeurs permet à la personne de planifier des activités associées à des valeurs sociétales et de faire des choix qui ne seraient pas influencés par les autres.
Un des concepts les plus importants en ce qui concerne l’activation comportementale est d’augmenter les activités qui créent surtout un sens à sa vie (Addis et Martell, 2009). L’individu doit apprendre à identifier ses propres valeurs afin de pouvoir planifier des actions qui lui permettront de se diriger vers ce qui est important pour lui.
Lorsque l’on décide de planifier à notre agenda des activités, il peut être bénéfique de se poser les questions suivantes face au choix d’activités que nous entreprendrons :
Qu’est ce qui est important pour moi dans ma vie ? qu’est ce qui m’amène à vivre une vie riche et enrichissante ? qu’est ce qui me rend réellement heureux ? C’est votre dernière journée sur terre, comment allez-vous remplir cette journée ?
L’important est de viser un équilibre entre les activités plaisantes et valorisantes. Pensez à choisir plus particulièrement des actions qui impliquent de briser l’isolement et la pratique d’activités physiques. En effet, il a été démontré que la pratique d’une activité physique réduit les symptômes dépressifs dans le cas d’une dépression légère à modérée, tout en augmentant les affects positifs.
Il est important de ne pas oublier que la planification d’activités doit absolument être réaliste en fonction de son état actuel. Le plus important est d’y aller graduellement et progressivement.
Malgré le fait que l’article met l’emphase sur l’activation comportementale, il ne faut toutefois pas oublier que le rôle des pensées est tout aussi important. En thérapie cognitivo-comportementale, il est essentiel de travailler en parallèle sur les pensées négatives qui alimentent la dépression. Les distorsions cognitives chez les personnes souffrant de dépression sont souvent comme des lunettes noires à travers lesquelles elles perçoivent la réalité. Les émotions qui découlent de ces pensées dépressives viennent nuire au fonctionnement. C’est pour cette raison qu’on les appelle des émotions dysfonctionnelles. L’objectif en thérapie sera d’assouplir progressivement le contenu des pensées afin que celles-ci soient plus réalistes et adaptées.
Suggestion d’activités à mettre en place lorsqu’on ressent la déprime :
- Réintroduction d’activités de loisirs (participer à des cours de danse, de yoga en personne ou en virtuel, faire du ski, du patin, faire de la sculpture, s’impliquer dans la décoration intérieure de son appartement, etc.).
- Participation plus active aux tâches à la maison ou aide aux voisins (cuisiner un gâteau à une voisine qui vit un moment difficile, aider un voisin qui est moins mobile, faire le ménage, faire du repassage, s’occuper de désencombrer la maison).
- Miser sur une routine du matin d’activation (s’habiller, prendre sa douche, prendre une marche etc).
- Mobilisation pour la recherche d’un travail (faire des recherches, écrire son résumé).
- Reprise de contacts avec son cercle de proches (voir un ami pour un café, faire un facetime avec quelqu’un qu’on aime si on ne peut pas le voir).
En conclusion…
La dépression majeure est une expérience difficile et souffrante. Par contre, les traitements médicaux et psychothérapeutiques sont efficaces. Et, c’est souvent un état qui est temporaire. Si vous pensez avoir cette condition, n’oubliez jamais que vous pouvez aller chercher de l’aide auprès de professionnels pour vous accompagner dans votre démarche.
Références :
Cottraux, J. (1990). Les thérapies comportementales et cognitives. Paris: Masson.
Addis, M. E., & Martell, C. R. (2009). Vaincre la dépression, une étape à la fois. Montréal: Éditions de l’homme.
Public Health Agency of Canada (2006). The Human Face of Mental Health and Mental Illness In.
Canada. Récupéré du site gouvernemental: http://www.phac-aspc.gc.ca/publicat/human-
humain06/index-eng.php
Fontaine, O., & Apfeldorfer, G. (1984). Cliniques de thérapie comportementale: Mardaga